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Le pouvoir du silence

Bivouac d'Indiens
Indiens d’Amérique du Nord : observer, écouter, agir

Une terre de rêves et de fantasmes

Un jour, Dan me surprit en prononçant une phrase complète.

« Tu fais des progrès en silence », dit-il.

« Vraiment ? »

« Je t’observe. »

« Je sais. »

« Tu apprends. Je peux le voir grâce à ton silence. »

Je perçus qu’il avait quelque chose à dire. Dan ne bavardait pas quand il était sur sa colline.

« Nous, les Indiens, on s’y connaît en silence », dit-il. « Nous n’en avons pas peur. En fait, pour nous, il est plus puissant que les mots. »

J’acquiesçai en hochant la tête.

« Nos anciens étaient éduqués dans la voie du silence, et ils nous l’ont transmise. Observe, écoute, puis agis, nous disaient-ils. C’est ainsi qu’il faut vivre.

« Observe les animaux pour voir comment ils prennent soin de leurs petits. Observe les anciens pour voir comment ils se comportent. Observe l’homme blanc pour voir ce qu’il veut. Commence toujours par observer, avec un cœur et un esprit paisibles, et alors tu apprendras. Quand tu auras suffisamment observé, c’est alors que tu pourras agir. »

Il y eut un silence.

« C’est assez différent de notre façon de faire », notai-je, espérant l’inciter à en dire plus.

« Oui », fit-il. « Avec vous, c’est juste le contraire. Vous apprenez en parlant. Vous récompensez les enfants qui parlent le plus à l’école. Lors de vos fêtes, tout le monde essaye de parler. Dans votre travail, vous faites toujours des réunions où tout le monde interrompt tout le monde et où tout le monde parle cinq, dix fois ou une centaine de fois. Vous appelez ça résoudre un problème. Pour nous, c’est juste un tas de gens qui disent n’importe quoi qui leur passe par la tête, puis qui font en sorte que ce qu’ils disent ait l’air d’avoir du sens.

« Les Indiens savent cela depuis longtemps. Nous aimons l’utiliser sur vous. Nous savons que lorsque vous êtes dans une pièce et que le calme règne, vous devenez nerveux. Vous devez remplir l’espace avec du bruit. Alors, tout de suite, vous parlez, avant même de savoir ce que vous allez dire.

« Nos anciens nous ont dit que c’était la meilleure façon de traiter les hommes blancs. Restez silencieux jusqu’à ce qu’ils deviennent nerveux, alors, ils se mettront à parler. Ils continueront de parler, et si vous gardez le silence, ils parleront trop. Ensuite, vous serez capables de voir dans leur cœur et vous saurez quelles sont leurs intentions. Et alors, vous saurez quoi faire. »

« J’imagine que cela fonctionne », dis-je. Je savais très bien que c’était le cas ; mes étudiants avaient employé la même ruse sur moi, et j’avais mis des mois à le comprendre.

« Ça fonctionne, très bien. Mais ça cause aussi des problèmes. Je me souviens, quand j’étais petit garçon à l’école. La professeure m’interrogeait et je voulais réfléchir avant de répondre. Elle s’agaçait et tapait sur son bureau avec sa règle. Ensuite, elle se mettait en colère après moi et me demandait si je l’avais entendue ou si le chat avait avalé ma langue.

« Comment étais-je supposé réfléchir avant de répondre quand je pouvais la voir se fâcher et s’énerver et si je savais que plus j’attendais, pire ce serait ? Je finissais par dire un mot ou bien ‘Je ne sais pas’. Je disais n’importe quoi pour qu’elle me laisse tranquille. Très rapidement, tout le monde a dit que j’étais stupide.

« Je me souviens d’une professeure qui disait que je devais apprendre à penser. Elle n’en avait vraiment rien à faire de ce que je pensais. Tout ce qu’elle voulait, c’était que je parle. Elle croyait que parler c’était penser. Elle n’était jamais satisfaite tant que je n’avais pas commencé à parler à la seconde où elle m’interrogeait. Et plus je parlais longtemps, plus elle était contente. Ce que je disais n’avait même aucune importance. J’étais juste censé parler.

« Je ne voulais pas le faire. Je pensais qu’il était irrespectueux de parler quand je n’avais rien à dire. Tout le monde disait que j’étais un mauvais élève et que j’étais idiot.

« Aujourd’hui, je vois qu’il arrive la même chose à mes arrière-petits-enfants. Leurs professeurs disent qu’ils ne font pas attention parce qu’ils ne fixent pas tout le temps le professeur du regard et ils disent qu’ils ne sont pas très intelligents parce qu’ils ne parlent pas constamment.

« Je sais ce qu’ils font, en réalité. Ils ne regardent pas les yeux du professeur parce qu’ils essayent de réfléchir. Ils sont juste respectueux comme on le leur a enseigné, car pour nous, c’est une marque de respect de baisser le regard quand quelqu’un de plus important parle. Si les professeurs leur donnaient plus de temps pour assembler leurs pensées et leur permettaient de le faire à l’intérieur de leur esprit, ils s’apercevraient que mes arrière-petits-enfants sont très intelligents. Mais les professeurs ne pensent pas comme nous. Ils veulent que tout le monde soit connecté à tout le monde par les mots et le regard. Ils n’aiment pas le silence et ils n’aiment pas les espaces vides. »

« Tout comme les pionniers n’aimaient pas les grands espaces vides de la terre », dis-je.

Le visage de Dan s’éclaira imperceptiblement. « Exact ! Tu commences à comprendre. » Je m’illuminai intérieurement et continuai d’écouter.

Dan poursuivit. « Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles nous les Indiens rendons les hommes blancs nerveux, Nerburn. Les Blancs aiment argumenter. Ils ne laissent même pas les autres finir leurs phrases. Ils sont toujours en train de les interrompre en disant, ‘Eh bien, je pense que…’

« Pour les Indiens, c’est très irrespectueux et même très stupide. Si tu commences à parler, je ne vais pas t’interrompre. Je vais écouter. J’arrêterai peut-être d’écouter si je n’aime pas ce que tu dis. Mais je ne t’interromprai pas.

« Quand tu auras fini, je prendrai une décision sur ce que tu as dit, mais je ne te dirai pas si je ne suis pas d’accord avec toi, à moins que ce soit important. Sinon, je resterai juste tranquille et m’en irai. Tu m’as dit ce que j’avais besoin de savoir. Il n’y a rien de plus à ajouter.

« Mais ce n’est pas suffisant pour la plupart des Blancs. Ils veulent que je leur dise ce que je pense de ce qu’ils pensent, et s’ils ne sont pas d’accord avec moi, ils veulent parler davantage et tenter de me convaincre.

« Tu ne convaincs personne en argumentant. Les gens prennent leurs décisions d’après leur cœur. Parler ne touche pas mon cœur.

« Les gens devraient considérer leurs paroles comme des graines. Ils devraient les planter, puis les laisser croître dans le silence. Nos aînés nous ont enseigné que la terre nous parle sans cesse, mais nous devons être silencieux pour l’entendre.

« J’essaye de me comporter de cette façon. J’ai appris à mes enfants à être comme cela. »

Il balaya de la main le panorama en face de nous. « Entends-tu le son de la prairie ? C’est un son agréable. Mais quand je parle, je ne peux pas l’entendre.

« Il y a beaucoup de voix en plus des nôtres, Nerburn. Beaucoup de voix. »

Je souris à l’écoute de son sage exposé. « Tu es plein de bon sens, vieil homme », dis-je. Il hocha la tête en signe d’acquiescement. Je pense que nous ressentions tous deux de la fierté devant la façon dont les choses progressaient.

Il ramassa une poignée de terre friable et la regarda. « Que fais-tu avec ton esprit quand nous montons jusqu’ici, Nerburn ? » demanda-t-il.

« Oh, je pense à ma famille. Parfois, je fais de courtes prières ou je regarde la forme des nuages. La plupart du temps, je suppose que je suis plongé dans une sorte de rêverie. »

« Sais-tu ce que je fais ? » dit-il. « J’écoute les voix. Pour moi, cette colline est si pleine de vie que je ne peux jamais être assez calme pour entendre toutes les voix. »

Je voulais l’interroger plus à ce sujet, mais avec délicatesse. Je ne voulais pas rompre le charme. « Veux-tu dire des vraies voix, ou des impressions qui semblent avoir un sens ? »

« Je parle de vraies voix. Toutes ne sont pas des gens. Elles ne parlent pas toutes notre langue. Mais ce sont des voix. Écoute. »

J’entendais le cri-cri des sauterelles et l’appel distant, rythmé, d’une espèce d’oiseau.

« Entends-tu cet oiseau ? » demanda Dan.

Je lui répondis que oui.

« Sais-tu ce qu’il dit ? »

« Je ne parle pas oiseau », répondis-je.

« Tu devrais », fit-il avec un clin d’œil. « Il y a beaucoup à apprendre. Les oiseaux ont ‘deux jambes’ comme nous. Il en appelle un autre. Il dit qu’il va bientôt pleuvoir. »

« Tu peux savoir ça ? »

« Oui, et je peux te dire que le vent tourne vers le nord et que nous aurons bientôt un temps plus froid. »

« À quoi vois-tu cela ? »

« Je le sais », répondit-il d’un air énigmatique. « C’est dans les voix que je l’entends. Je peux comprendre tous les arbres. Le vent. Tous les animaux. Les insectes. Je peux dire ce qu’une couleur du ciel signifie. Tout me parle.

« Là », dit-il, en pointant un carré d’herbes broussailleuses au loin. « Que vois-tu ? »

« Cela paraît un peu plus vert que le reste des collines », répondis-je. « Du moins à quelques endroits. »

« Bien. Maintenant, pourquoi ça ? »

« Je ne sais pas. »

« Regarde plus attentivement. »

Je plissais les yeux. Il n’y avait rien à voir, à part la courte herbe verte.

Je plissais les yeux à nouveau. Il semblait y avoir une sorte de mouvement, mais il était trop faible pour que je puisse l’interpréter.

« Quelque chose bouge », dis-je.

« Bien. Sais-tu ce que c’est ? »

Je reconnus que je n’en savais rien.

« Pispiza. Vous les appelez chiens de prairie. »

« Okay », fis-je.

« C’est pour ça que l’herbe est verte. Nos frères les chiens de prairie creusent le sol pour construire leur maison. Ils creusent la terre si bien que la pluie peut pénétrer plus profondément et les racines de l’herbe peuvent mieux pousser. »

« Là où l’herbe est plus riche, les plus gros animaux viennent se nourrir. Si nous nous asseyons ici tranquillement, le matin, quand les antilopes ont faim, nous les verrons et nous pourrons les chasser. Tout ça grâce à notre frère le chien de prairie. Là où il vit, nous pouvons vivre.

« C’est le genre de choses que je vois quand je regarde ici. Ce sont des choses que mes grands-pères m’ont enseignées. Je les entends, aussi. Mes grands-pères. J’entends leurs os dans le sol. »

Je regardai la motte de terre poussiéreuse qu’il tenait dans sa main.

« Tu penses que je mens, n’est-ce pas ? Ou que je ne suis qu’un vieux fou. Je ne peux pas l’expliquer. Mais je sais où les morts sont enterrés. Je les entends. Ils me parlent dans une langue ancienne. C’est un don que j’ai.

« Tu as lu des choses sur ces gens qui peuvent trouver de l’eau en se servant d’un bâton fourchu ? Ils marchent avec le bâton au-dessus du sol, et quand ils arrivent au-dessus de l’eau, le bâton pointe vers le bas.

« C’est pareil pour moi. Quand j’arrive au-dessus d’une des tombes, j’ai une impression à l’intérieur de moi. C’est comme un frisson. Ma grand-mère le ressentait aussi. Elle disait que nos ancêtres nous l’avaient transmis, et que je devrais toujours écouter.

« C’est pourquoi je monte ici, Nerburn. Mon peuple est enterré ici. C’est ici que je viens écouter. »

« Je te crois, Dan », dis-je. Et j’étais sincère. Une fois, il y a de nombreuses années, j’avais pris une grande quantité de peyotl. Je l’avais fait sans raison, à l’époque… c’était juste l’une de ces actions qui allaient de pair avec la vie dans les années soixante. Au bout de quelques heures, je me retrouvai allongé sur le dos sous le ciel de minuit, écoutant les sources couler dans la profondeur du sol. C’était un son en cascade, comme si elles se parlaient toutes les unes aux autres. J’avais l’impression d’épier une conversation sous terre. Puis, tandis que je marchais jusqu’à un certain point situé sur un plateau qui dominait la vallée, j’eus l’impression d’être traversé par un frisson glacé. « Il y a ici des tombes », me dis-je. Je savais que j’y croyais, mais je n’ai jamais su si c’était le peyotl qui parlait où si je m’étais ouvert à une espèce de royaume d’une signification plus profonde. Je n’ai jamais oublié ce moment, bien que je l’aie rarement confié à quelqu’un.

Aujourd’hui, ce vieil homme me disait la même chose, mais pour lui, ce n’était pas une conscience provoquée par une drogue, cela faisait partie de la réalité quotidienne. Je me suis demandé ce que ça devait faire d’avoir cette sensibilité à chaque moment de sa vie.

Traduit de Ni loup ni chien : sur les sentiers oubliés en compagnie d’un vieil Indien, de Kent Nerburn

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