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Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_Episode 3_Partie 2 :  Nouveau changement vers un autre métier

Au bout d’un certain temps, je ne supporte plus le travail de nuit car dormir le jour devient une épreuve. Je suis lasse, exténuée, à bout de forces. J’aime ce métier et aussi surprenant que cela paraisse, j’ai envie d’arrêter de l’exercer. Les contraintes acceptables au début, deviennent éprouvantes. Cette profession est exigeante, elle demande beaucoup mais procure de très maigres – de trop maigres- compensations. Les moments de remise en question que je traverse se transforment en angoisse, voire en crise profonde, entraînant des conséquences sur ma vie privée frôlant le « désastre ».

Je me ressaisis, je ne peux, ni ne veux, quitter ce pourquoi je suis faite, ce job me colle à la peau, alors je décide de me spécialiser dans un secteur où je pourrai me réaliser autrement. Je suis contente d’avoir trouvé ce compromis ! Entre le désir de pratiquer qui est toujours présent et les difficultés qu’engendrent au jour le jour ce métier.

J’hésite entre Infirmière Anesthésiste Diplômée d’État (IADE) et Infirmière Puéricultrice Diplômée d’État (IPDE). J’opte pour IADE car je me sens d’instinct très attirée par la technique et moins à l’aise dans la gestion du relationnel nécessaire avec les équipes et les parents, dans un objectif de travail en crèche.

Cette nouvelle aventure m’offre un long chemin, passionnant, exigeant : d’abord la préparation du concours, le concours puis, si tout se passe bien l’école. Je vais chercher tous les bouquins indispensables, je m’arrange pour faire les rencontres nécessaires, je me mets en quête des financements… je ne souhaite pas être financée par l’AP-HP qui me demande auparavant de travailler comme infirmière pendant quelques années…

Motivée, je suis très motivée !!!

J’évalue mes chances : j’ai quitté les bancs de l’école avec le diplôme d’infirmière il y a déjà 10 années, la réussite au concours d’entrée de l’IADE est de 25 %. Il comporte un écrit et un oral qui donnent accès à 2 ans d’études à temps plein sanctionnées par un diplôme d’état en fin de parcours.

L’affaire me paraît un peu corsée, cependant l’aventure est palpitante !

IADE à l’HEGP

Je me prépare seule, en bossant les annales. Je révise durant mes nuits et sur mes jours de repos ! Je continue mes nuits tant en réanimation qu’en de salle de réveil pour me mettre dans le bain ! En effet, ce sont les disciplines qui se rapprochent le plus de l’anesthésie. J’obtiendrai mon concours à la première présentation. Je rentrerai, en octobre 2004, à l’école des infirmiers anesthésistes et de réanimation de la Pitié Salpêtrière. J’en sortirai le 1er octobre 2006 et j’intégrerai pour mon premier poste l’HEGP (Hôpital Européen Georges Pompidou)… serait-ce le dernier ?

Hôpital Européen Georges Pompidou)
Hôpital Européen Georges Pompidou

Former un IADE demande 7 ans au total (3 ans d’école d’infirmière, il faut avoir travaillé au moins 2 ans dans le métier pour présenter le concours d’IADE, puis 2 ans d’école).

L’amour que j’éprouve pour la technique sera omniprésent dans cette nouvelle activité ; c’est aussi je pense, une façon de se réfugier, de se protéger, d’être plus indépendant, de limiter les nombreuses relations gravitant autour du patient. Intégrer le bloc c’est quitter le monde du soin traditionnel, c’est exercer un nouveau métier où l’urgence, la précision, l’adaptation seront dorénavant mon challenge.

A cette époque je pensais qu’intégrer le bloc allait me permettre de me libérer de ces énormes difficultés qui m’ont conduite à l’épuisement régulièrement.

Au travers de cette spécialité, j’aurais donc cherché à me valoriser et à me protéger ? à être moins exposée aux difficultés du métier ? Illusion ?

On croit être protégé, « on se met dans une niche », si tant est qu’un bloc opératoire soit une niche… en fait, je pourrai le comparer à une ruche, une fourmilière ultra spécialisée, avec sa multitude d’ouvrières !! Dans ma précédente activité, nous prenions en charge entre dix et vingt patients selon le service, autant de familles, et nous avions une grande quantité de paperasserie à produire. Au bloc, les métiers sont nombreux et variés et, s’il y gravite moins de patients, nombreux sont les professionnels qui s’affairent autour d’eux. Le bloc exige une spécialisation pointue, une concentration maximale, un savoir-faire solide et un savoir-être adaptable à toute situation.

Cette fois ci, j’ai la charge d’un seul patient car un seul patient à la fois est géré dans une salle. La multitude des soins disparaît, la charge administrative s’allège.

Dans le monde du soin, c’est une spécialité plus reconnue. Je me suis sentie plus indépendante et autonome et fière d’avoir développé de nouvelles compétences.

L’obtention du diplôme IADE a été pour moi une énorme satisfaction, un changement extrêmement positif dans ma vie. La prise de poste fut stimulante et passionnante. Je me suis sentie complètement à l’aise et en phase durant les premières années. La découverte du métier, la découverte du “bloc op !*”, l’exercice de ces nouvelles responsabilités, du corps humain dans une nouvelle version (version ouverte !). Je garde un excellent souvenir de ces premiers temps ! Ce sentiment de plénitude, d’accomplissement n’efface malheureusement pas pour autant les aspects plus sombres : un travail plus individuel, un binôme MAR (Médecin Anesthésiste Réalisateur) / IADE pas toujours facile à vivre, pas vraiment d’esprit d’équipe avec les collègues, une espèce de compétition de savoirs pour se valoriser auprès des MAR, pas vraiment un accueil chaleureux dans une équipe soudée ! Mais bon, j’ai un peu l’habitude de rouler solo !

Il faut que je vous précise : j’ai débuté en exerçant dans des spécialités possédant la grande noblesse de leur fonction, chirurgie cardiaque et pulmonaire, imposant une ambiance des plus sérieuses et conformiste condamnant les ouvrières à butiner dans un silence religieux.

Allez savoir pourquoi le cœur est plus noble que le trou de balle ? Ils sont autant indispensables l’un que l’autre mais l’ambiance d’une salle de digestif ou d’une salle de cardio n’est pas la même ! Loin de là !…

L’Hôpital Européen Georges Pompidou

C’était un bloc multi-disciplinaire qui comptait environ 25 salles par jour pratiquant l’anesthésie, engendrant par conséquence de multiples équipes opérationnelles. Par ailleurs, cet hôpital est la réunion de 3 autres établissements ayant fermé leurs portes (Broussais, Laënnec et Boucicaut), ce qui a eu pour effet de créer une « bizarrerie » composée de 3 hôpitaux en un, les services de chirurgie conservant chacun leurs personnels. Seuls les IADE tournaient sur les différentes spécialités. Ceci pour appuyer le fait que l’ambiance était très particulière et ne simplifiait pas les relations ni l’intégration…

Je dois avouer qu’en-dehors de mon accomplissement professionnel personnel, je me trouvais au sein d’une ambiance étrange où manquaient compréhension, soutien et complicité. Certainement me direz-vous, que cela vient aussi de moi. Vous aurez certainement raison, néanmoins, après en avoir discuté avec des collègues, j’en ai conclu que je n’ai pas été la seule avec ce ressenti.

Je vois plusieurs raisons à cela ; à la fois nous exercions dans un paquebot trop immense, gigantesque avec une organisation originelle, qui complexifiait grandement les relations inter professionnelles.

A cela s’ajoute une politique de santé soucieuse du « rendement » du bloc opératoire ayant pour conséquence une déshumanisation des soins et des rapports entre les personnes ; instaurant des organisations de travail éprouvantes, ne facilitant pas les relations, bien au contraire. En 15 ans, l’activité s’est particulièrement développée, les organisations de travail également, imposant aux professionnels de s’adapter encore et toujours à des contraintes plus fortes et plus dures.

Il m’a semblé également qu’un esprit plus chaleureux et solidaire aurait pu se développer après l’ouragan C0v/d. En effet, ce traumatisme collectif ayant provoqué de sérieuses turbulences, a engendré sur le champ de bataille, des dégâts humains d’une rare violence chez les personnels soignants… Incluant entre autres ma maladie, mon « lynchage », ma suspension.

Stéphanie

*Bloc opératoire

Si vous n’avez pas encore lu mes articles précédents, découvrez-les en cliquant sur les liens ci-dessous => 

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 1, 1ère partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 1, 2ème partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 1, 3ème partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 2, 1ère partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 2, 2ème partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 2, 3ème partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 2, 4ème partie

Comment l’hôpital m’a tuée ou la désillusion d’une infirmière_épisode 3, 1ère partie

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